Le syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA) a été décrit pour la première fois en 1981. Bien que l'agent causal, le virus d'immunodéficience humaine (VIH) soit connu, aucun vaccin n'est encore disponible pour enrayer sa propagation. De nouveaux traitements sont disponibles et les résultats obtenus sont encourageants mais nous ignorons s'ils parviendront à modifier à long terme l'issue fatale de la maladie.
L'infection au VIH se manifeste par de nombreuses infections opportunistes, des néoplasies ainsi que des lésions non spécifiques résultant d'une diminution de l'immunité3132 . De façon générale, on rapporte que les lésions buccales sont les premières manifestations de l'infection pour le tiers des personnes vivant avec le VIH et que la prévalence combinée de ces lésions est de 62 %. Ce taux grimpe à 85 % chez les individus ayant développé le SIDA33 .
Les lésions se trouvant dans la bouche et le pharynx, les professionnels adéquatement formés peuvent souvent les détecter et les diagnostiquer selon leur seule apparence clinique. Les principales, la candidose, la leucoplasie pileuse, le sarcome de Kaposi, le lymphome non hodgkinien et certaines pathologies parodontales, sont étroitement associées à l'infection au VIH1. Plusieurs de ces lésions buccales font partie des critères de classification des stades de l'infection au VIH31 32. Elles servent aussi très souvent d'indicateur pour débuter ou mettre un terme à des traitements prophylactiques ou thérapeutiques et font souvent partie des critères de sélection ou d'évaluation lors d'essais cliniques34 .
La candidose orale peut affecter toutes les muqueuses bucco-pharyngées et se présente sous deux aspects. Dans sa forme érythémateuse, la muqueuse affectée prend une coloration rouge. Dans sa forme pseudo-membraneuse, la muqueuse est recouverte de plaques blanches ou jaunes surélevées qui peuvent se gratter en laissant voir une surface érythémateuse parfois sanguinolente1. Sous cette forme, elle nuit souvent à l'alimentation normale de la personne atteinte, de même qu'au port de prothèses dentaires amovibles. La candidose orale doit être soignée non seulement pour l'inconfort qu'elle procure, mais aussi pour éviter la progression vers d'autres sites. Cette infection est rarement curable et nécessite souvent un traitement à long terme35 . La candidose orale est de loin la lésion orale dont la prévalence est la plus élevée chez les personnes vivant avec le VIH-SIDA puisque le tiers à la moitié d'entre elles développent ce type d'infection36 . Elle est considérée comme un prédicteur de la progression rapide vers le SIDA et du déclin des lymphocytes T434 37 .
La leucoplasie pileuse se caractérise par des lésions bilatérales souvent surélevées, d'un gris blanchâtre et habituellement localisées sur les bords latéraux et le dos de la langue1. Généralement asymptomatique, un traitement spécifique est rarement indiqué à moins qu'elle ne cause de l'inconfort. Malgré son nom, ce n'est pas une lésion pré-maligne mais plutôt une hyperplasie de la muqueuse buccale induite par le virus d'Epstein-Barr. Décrite pour la première fois chez des homosexuels mâles38 , la leucoplasie pileuse a d'abord été associée à l'infection au VIH39 et considérée pathognomonique de cette infection. On sait aujourd'hui qu'elle peut aussi se retrouver chez des personnes immunosupprimées autrement que par le VIH40 . Parmi les personnes vivant avec le VIH-SIDA, sa prévalence varie de 20 %, chez les Américains sans autres symptômes de l'infection au VIH, jusqu'à 36 % chez les Tanzaniens sidéens41 . Tout comme la candidose, elle est un prédicteur de la progression de la maladie et de la baisse des lymphocytes T434 42 .
Le sarcome de Kaposi est une forme de néoplasie affectant la peau et les muqueuses. Avant les années quatre-vingt, cette maladie affectait les hommes âgés souvent d'origine méditerranéenne. En 1981, l'apparition de nombreux cas de sarcome de Kaposi cutané ou muqueux et de pneumonie à Pneucystis carinii chez des hommes jeunes et homosexuels a mené à la première description du SIDA. Au début de l'épidémie du VIH, le sarcome de Kaposi cutané ou muqueux touchait 50 % des homosexuels sidéens alors qu'on ne le retrouvait que chez 5 % des sidéens utilisateurs de drogues injectables (UDI) et chez moins de 1 % des sidéens hémophiles. Les chercheurs ont ainsi été mis sur la piste d'un agent infectieux transmis sexuellement et distinct du VIH, le gamma-herpesvirus KSHV (HHV-8)43 . En bouche, le sarcome de Kaposi se présente comme une lésion rouge violacée plane ou hyperplasiée généralement localisée au palais44 . L'observation régulière est conseillée dans les cas où la lésion demeure asymptomatique, stable ou de progression lente. Par contre, environ les deux tiers des personnes présentant un sarcome de Kaposi buccal rapportent de la douleur, de l'inconfort, de la difficulté à s'alimenter ou encore un problème d'esthétisme - dans le cas d'hyperplasie non camouflée par les lèvres ou les joues -nécessitant alors une intervention45 . La prévalence du sarcome de Kaposi buccal est peu connue, mais une étude rapporte qu'un peu moins de 80 % des personnes vivant avec le VIH-SIDA ayant une ou plusieurs lésions de type sarcome de Kaposi ont une de ces lésions dans la bouche46 . Le sarcome de Kaposi est une condition incluse dans les critères diagnostiques du SIDA32.
Les lymphomes non hodgkiniens se produisent fréquemment dans des conditions d'immunosuppression congénitales ou acquises. Chez les personnes infectées par le VIH, le risque de développer ces types de lymphomes est soixante fois plus élevé que dans la population en général47 . Plus agressifs et menaçants que le sarcome de Kaposi, les lymphomes nécessitent de la radiothérapie, de la chimiothérapie et, dans certains cas, une intervention chirurgicale48 . En bouche, ils se présentent principalement comme une masse localisée à la gencive ou au palais camouflant une destruction osseuse. Les lymphomes non hodgkiniens buccaux comptent pour 3 % de tous les lym-phomes chez les personnes vivant avec le VIH-SIDA44. Tout comme le sarcome de Kaposi, les lymphomes non hodgkiniens sont inclus dans les critères diagnostiques du SIDA32.
Les maladies parodontales les plus fortement associées à l'infection au VIH sont l'érythème gingival linéaire, la gingivite ulcéro-nécrosante et la parodontite ulcéro-nécrosante. La première condition se présente comme une étroite bande rouge très caractéristique le long du bord libre de la gencive. Les deux autres conditions se manifestent par une destruction soit de la papille gingivale dans le premier cas ou de l'os parodontal dans le second. Les personnes vivant avec le VIH-SIDA peuvent aussi présenter une gingivite marginale chronique ainsi qu'une parodontite, mais l'immunosuppression peut modifier l'apparence clinique de celles-ci1. Souvent douloureuses et progressives, les maladies parodontales nécessitent en général un débridement des tissus nécrotiques, une antibiothérapie, un détartrage et un curetage des dents ainsi qu'un suivi à long terme49 . L'absence, jusqu'à très récemment, de critères spécifiques de classification de ces lésions empêche une évaluation valide de leur prévalence.
D'autres études seront nécessaires pour établir la prévalence de plusieurs lésions buccodentaires associées à l'infection au VIH ainsi que pour identifier les facteurs de risque associés à l'apparition ou à la progression de certaines d'entre elles. Par ailleurs, on constate que ces lésions sont nombreuses, que plusieurs peuvent entraver une alimentation et une déglutition normale, qu'elles peuvent être douloureuses et mettre en péril la vie même de l'individu atteint. Leur dépistage et leur traitement précoces s'avèrent essentiels au maintien de la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH-SIDA.